Derrière l’objectif : Halima Jama

« Il est important pour moi, en tant que créatrice musulmane noire, d’honorer l’amour et la joie des Noirs d’une manière digne à travers mon travail. » Voici comment Halima Jama, photographe de famille et de mariage basée à Toronto, utilise sa voix pour enrichir le discours.

Enfant, Halima Jama avait du mal à se faire des amis. Elle était reconnaissante d’avoir un professeur d’art qui la gardait occupée à l’école. Il lui enseignait notamment la photographie. À la maison, elle mettait occasionnellement la main sur les appareils photo de son père, sa « fierté et son bonheur ». À 14 ans, elle a demandé à ses parents d’avoir son propre appareil photo.

Son père lui a acheté un petit appareil photo numérique. À l’époque, je me suis dit : « Oh, il a utilisé la carte de crédit, ça doit être un appareil super sophistiqué », raconte Jama en riant. « C’est comme lorsque vous obtenez votre propre voiture. C’est un sentiment tellement différent que lorsque vous empruntez celle de quelqu’un d’autre ou que vous êtes assis sur le siège passager et que vous regardez quelqu’un d’autre conduire.

Ce n’était qu’un simple appareil numérique, mais j’ai pris confiance en moi parce que je voyais le monde à travers cet appareil photo et que je le voyais différemment. Je l’utilisais également pour communiquer avec les autres d’une manière dont je n’avais jamais été capable auparavant. »

Tout au long de ses études secondaires, les amis de Jama lui ont demandé de prendre des photos à leurs anniversaires. Elle adorait que les autres l’associent à un appareil photo. « Aujourd’hui, je dis toujours aux gens que la photographie est comme mon compagnon. Le monde a plus de sens pour moi grâce à mon compagnon. La photographie a fait tellement de choses pour moi. Elle m’a emmenée dans des endroits où je n’aurais jamais imaginé qu’elle puisse le faire. »

Une base solide

Si Jama a appris les bases de la photographie auprès de son professeur d’art, elle a appris elle-même les techniques plus avancées. Elle a grandi à Etobicoke, dans le quartier ouest de Toronto. Derrière son immeuble se trouvait un arbre, son « client le plus patient ». Elle observait comment la lumière frappait l’arbre à différents moments de la journée et réglait son appareil photo en conséquence. Elle jouait avec différents réglages pour voir ce que chacun lui permettait de capturer. Dans le monde réel, on ne sait jamais ce que chaque prise de vue nous permet de saisir. Jama savait qu’elle devrait s’adapter rapidement lorsqu’elle photographierait des sujets dont les limites ne seraient pas aussi accommodantes que celles de son arbre si elle voulait obtenir d’excellents résultats, chaque fois. Elle a profité de tous les décors que la météo lui offrait, qu’il s’agisse de la pluie ou de la neige, de la chaleur des couleurs de l’automne ou de la fraîcheur de celles du printemps. « De la même manière, les êtres humains ont des teints différents, comme des teintes de couleurs; nous arborons des couleurs froides et des couleurs chaudes, explique-t-elle. C’était génial d’apprendre de cette façon par moi-même. »

Elle est également reconnaissante envers sa famille tout aussi patiente, qui lui a permis de capturer leurs moments spontanés, en documentant la vie telle qu’elle se déroule. Elle a ainsi appris à saisir l’angle le plus digne d’une personne. « Sur le terrain, je reviens toujours à la base. Comment puis-je honorer l’être humain que vous êtes et conserver son intégrité? Le fait d’être à la maison m’a aidée à toujours photographier avec cette mentalité : comment puis-je préserver votre dignité? »

Foi, lumière, joie

En apprenant à se servir d’un appareil photo dès son plus jeune âge, Jama a pu documenter les étapes de vie de sa famille et ses amis : demande en mariage, fiançailles, mariage, premier anniversaire de mariage, première grossesse, et chaque étape importante qui s’en est suivie.

« Je dis toujours que Dieu n’aurait pas pu m’aimer davantage que lorsqu’il m’a donné la capacité de créer, de mes propres mains, un art qui, selon les gens, vaut la peine d’être payé. Et je suis reconnaissante du fait que ces personnes soient mes amis et ma famille, déclare Jama. Pour moi, ce n’est même pas une question d’argent, mais plutôt de savoir comment je peux raconter votre histoire d’amour, à travers mes yeux. »

Ce n’est pas elle qui décide de ce qui l’inspire, affirme-t-elle. L’inspiration vient de l’histoire unique de chaque sujet et les couples qui s’aiment sincèrement le montrent d’eux-mêmes. Il peut s’agir d’un couple dont les mains s’entrelacent inconsciemment, ou d’un parent qui rapproche naturellement son enfant de sa poitrine.

« Il y a une proximité et une intimité, et c’est ce que je documente et capture toujours. Cela vient du fait de pouvoir photographier la vie de famille, quand on ne cherche pas quelque chose en particulier et qu’on se contente de regarder. Les choses se passent naturellement. »

Sur ses médias sociaux, elle se fait un point d’honneur à partager cette joie. Elle ne partage pas de photos sombres de façon intentionnelle. « Si je dois décrire mon travail à quelqu’un, ou si je veux que la personne ressente quelque chose, je lui montre la chaleur de la foi, la lumière et la joie. »

Amplifier la positivité envers les Noirs par l’amour

Plus important encore, Jama veut honorer l’amour et la joie des Noirs d’une manière digne.

« En tant que musulmane et personne très visiblement noire qui porte un hijab et en tant que femme, je suis toujours soucieuse de transmettre le message que les musulmans aiment aussi. Les Noirs aiment aussi. Souvent, indique-t-elle, les médias grand public ne montrent pas cet amour. » En tant que musulmane noire, Jama veut créer un contenu qui contredit cette perception et représente la réalité de ces vies. Cela renvoie à son engagement à préserver l’intégrité et la dignité des personnes.

Jama réfléchit toujours à la manière dont ses images enrichissent le discours. Pour elle, cela signifie montrer l’homme noir qui n’a pas besoin d’être fort en permanence, mais qui est doux et joyeux. Montrer que la femme musulmane qui porte son hijab est la plus belle d’entre toutes.

« J’aime que mon public soit si diversifié, déclare-t-elle. Il ne voit pas que la personne est noire, que la personne est musulmane. Il voit simplement que ce sont des gens qui s’aiment les uns les autres et je lui en suis vraiment reconnaissante.

Outre le fait que mon travail est principalement basé sur la famille et les amis, il est aussi très politique d’une certaine manière, car je veux faire comprendre que les Noirs aiment magnifiquement, que les Noirs sont doux et aimants. Les musulmans sont aimants et beaux. Ce ne sont pas des gens en colère. Non, ils sont comme vous. Ils aiment tout comme vous. C’est très important pour moi. »

Utiliser sa voix

La photographie a offert à Jama des occasions dont elle n’aurait jamais cru pouvoir faire l’expérience. En 2015, elle a été l’une des 11 jeunes artistes sélectionnés pour participer au projet Scratch & Mix, une exposition du Musée des beaux-arts de l’Ontario à Toronto où chaque créateur a offert une vision unique sur le thème « Valoriser la collectivité noire ».

« Je suis très visiblement musulmane et je le reconnais, et tous les espaces ne sont pas prêts à m’accepter, explique Jama. Donc, lorsque j’occupe des espaces comme le Musée des beaux-arts de l’Ontario, je suis là grâce à mon travail. » Jama n’est pas du genre à attirer l’attention sur elle, c’est pourquoi il est particulièrement gratifiant que son travail parle de lui-même. « Le fait d’être aussi discrète que je le suis et qu’un endroit comme le Musée des beaux-arts de l’Ontario expose mes œuvres m’a époustouflée. Je suis tellement reconnaissante à Dieu qu’une telle miséricorde m’ait été accordée. »

Jama faisait également partie d’un groupe de créateurs somaliens ( peintres, poètes, écrivains et autres) qui se sont rendus aux Nations Unies en 2014. La guerre civile en Somalie dure depuis plus de 30 ans. Les récits concernant le pays et ses habitants ne donnent jamais une image complète de la situation. Les artistes ont la capacité unique de raconter des histoires et, en se réunissant, le groupe a voulu créer un nouveau récit.

« En général, lorsque des intellectuels sont invités à se réunir, ce sont des médecins et des avocats, des comptables et des titulaires de doctorat qui se trouvent dans la pièce, indique Jama. Nous ne pensons jamais à « écouter la voix de l’artiste ». Nous l’incluons rarement dans la politique. C’est pourquoi je pense que les artistes créent leur propre politique avec leur art. C’était génial de faire partie de ça. »

Le prochain chapitre

Le prochain grand projet photographique de Jama demeure un mystère. Pour l’instant, elle profite d’une année de repos et termine ses études. À la fin du secondaire, elle a reporté ses études et a travaillé pour aider à soutenir sa famille. Aujourd’hui âgée de 30 ans, elle est inscrite à l’Université York et souhaite devenir psychothérapeute.

« La photographie m’a transmis le don de développer l’empathie, déclare-t-elle. Elle m’a aussi permis d’être perspicace et de comprendre que les êtres humains sont complexes. Nous avons tous besoin de compassion. » En photographiant les gens, elle les voit dépouillés de leur carapace, révélant leurs vulnérabilités, leurs angoisses et leurs points sensibles. « Je me souviens d’avoir pensé : “Dieu, si je retourne un jour à l’école, je veux toujours te servir.” J’ai été en mesure de servir Sa création dans la photographie, puis en retournant à l’école, je veux être là pour les gens d’une manière différente. La psychothérapie me permet de le faire. »

Halima Jama Photographe

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